Allen Iverson ,L'incompris
Rien n’est plus indécent, à notre gré, que la critique assassine adressée à une étoile. Sous prétexte que l’actualité n’est plus aussi brillante que naguère, il est somme toute aisé d’abattre sans pitié ce que l’on vénérait hier encore. Pourtant plus cruel est le jugement lorsque c’est l’intéressé lui-même qui se l’inflige.
Deux articles parus dans la presse de Denver en début de mois corroborent nos propos. Le premier, édité le 02 mai 2007 dans le Rocky Mountain News, titre « Iverson ne pouvait fournir la réponse » puis détaille toutes les carences d’A.I lors du premier tour des playoffs contre les San Antonio Spurs. Le second dans le Denver Post, daté du 03 Mai 2007 , s’intitule « Iverson n’était pas lui-même » et conte les aveux frustrants d’Allen Iverson après ses contre-performances lors de la même compétition.
Après lecture, nous sommes inquiets. Si, de toutes parts, chacun admet qu’Allen Iverson n’a été que l’ombre de lui-même, que nous réserve l’avenir ? Est-ce un dysfonctionnement ponctuel ou l’amorce d’un déclin annoncé ?
Viscéralement, nous ne sommes absolument pas apprêtés à l’idée que c’est le début de la fin pour Iverson. Pour nous, c’est comme si demain on nous révélait que Tiger Woods n’est plus qu’un golfeur minable ou George Clooney un laideron de séries B. Suicidaire !
Allen Iverson, comme Kobe Bryant, est un génie. Comme la star des Lakers, il est bien plus qu’un basketteur NBA ordinaire (avec tout le respect que nous réservons aux 432 autres), c’est une figure emblématique qui, avec son talent, véhicule un look, un état d’esprit, une image et un parcours de « bad boy » au grand cœur, une revanche de gosse pauvre qui a atteint les sommets de la gloire. Allen Iverson, le Rebelle ! Allen Iverson, Notre rebelle préféré !
Aussi, comment envisager une seule seconde que l’échec de la franchise des Nuggets lors des playoffs, imputé en majeure partie à A.I., préfigure le pire ? Quoiqu’il en soit, une évidence saute aux yeux : depuis son départ de Philadelphie, Iverson est différent tant dans son jeu que dans sa personnalité. D’emblée, nous avons remarqué que son regard si étincelant depuis toujours, renvoyant le reflet d’une candeur enfantine persistante, avait perdu tout éclat. Désabusé, lésé par un transfert supporté mais pas véritablement désiré, déçu dans ses attentes, déraciné de ses confortables habitudes ? Nous pensons qu’il y a un peu de tout cela dans la disparition de cette étincelle. Par ailleurs, il est indubitable que sa position au sein des Nuggets est bien différente de celle qu’il occupait aux 76ers. Dans la Cité de l’Amour Fraternel, il était LA star, l’unique star. Le monde tournait autour de lui, de ses caprices, de ses volontés, de ses absences ou de ses présences. Dans le Colorado, il partage la vedette avec une autre « tête brûlée » de surcroît bien plus jeune que lui. Melo était installé et adulé à Denver bien avant lui ; aussi, pour la première fois de sa carrière, il existe « à côté », voire dans le sillage d’un coéquipier. Psychologiquement, après 10 ans passés en solitaire en haut de l’affiche, il est certes ardu de perdre son statut. A n’en pas douter, pour un tempérament aussi puissant que celui d’Iverson, la réforme s’est effectuée dans la douleur. Autre détail non négligeable à prendre en compte : la métamorphose de l’environnement. Iverson vivait depuis 1996 à Philadelphie. De son propre aveu, il aimait la ville, il y avait ses habitudes, ses repères, ses amis, une sérénité établie pour les siens, notamment pour ses enfants. Grand chambardement en plein milieu d’année scolaire, les mômes on quitte la Pennsylvanie, adieu les copains, on s’embarque pour les neiges glacées du Colorado. A une semaine de Noël, la nouvelle n’a sans doute pas fait l’effet d’un cadeau ardemment rêvé !
Allen Iverson a été acquis par
Denver le 19.12.2006. Suite à une bagarre le 16 Décembre au Madison Square Garden lors d’une rencontre face aux Knicks, Melo est suspendu pour 15 matches depuis le 18.12.2006. Il ne retrouvera le chemin des parquets que le 22.01.2007. Les premiers pas d’A.I. sous le maillot des Nuggets s’effectuent le 22.12.2006 contre les Sacramento Kings. Cet acte se solde par une défaite 96 à 101. Comme entrée en matière, on a connu plus réjouissant ! Rien qu’en relisant ces dernières lignes, nous ne pouvons nous empêcher de songer que le contexte de base n’était pas le plus idéal afin de réaliser une intégration réussie. Histoire de bien enfoncer le clou, nous nous rappelons que :
• c’est la période des Fêtes de Fin d’Année et sa famille est à 2500 km,
• il arrive dans une ville inconnue en plein hiver,
• il loge à l’hôtel,
• pour profiter des siens il est contraint d’effectuer des allers et retours en avion, lorsque ce dernier peut décoller compte tenu des fréquentes tempêtes de neige.
Ouah ! C’est génial l’ambiance chez vous ! Moi, franchement, je repars en carapatant à toute vitesse… D’abord j’attends la belle saison pour envisager un transfert qui inclurait famille et mobilier. D’accord je perds une année supplémentaire à Philadelphie et je n’aurai encore pas de titre… De toute façon étant donné les conditions dans lesquelles ma trade se profile, il y a de fortes chances que je ne le décroche pas non plus avec ma nouvelle franchise… Hélas je ne suis pas Allen Iverson, je n’ai également pas gagné de bague, mais actuellement je suis beaucoup moins déprimé que lui car je n’ai jamais été attiré par le miroir aux alouettes…
Dans son autocritique du 03 Mai, Iverson déclare qu’il passera l’intersaison à dénicher avec son épouse un nid douillet à Denver pour leur foyer, ce qui implique que jusqu’à présent il est encore seul dans le Colorado. Ceci explique toujours cela. Allen et Tawanna ont eu leur fille Tiaura en 1994 (il était encore lycéen), sa femme est le centre de sa passion amoureuse depuis ses 16 ans, il n’est même pas envisageable qu’il ait pu surmonter de manière équilibrée leur séparation infligée par la distance.
Désormais, au vu de tous ces arguments, sachant le penchant d’Iverson pour une confortable routine, est-il bien étonnant qu’il ait été aussi peu efficace tant au niveau de sa saison régulière que du premier tour des playoffs ? Foncièrement positifs, nous osons espérer que seuls ces raisons sont la cause de la baisse de régime d’A.I. depuis son départ de Philadelphie. Nous prions pour que l’avenir nous prouve que nous ne nous trompons pas.
Allen Iverson est une légende vivante. Il a enthousiasmé des milliers d’individus à travers la planète par son jeu magique, par la foi qu’il a fait naître en des centaines d’êtres perdus qui ne croyaient plus en des lendemains ensoleillés car largués par la société. Il ne peut finir aussi pitoyablement, pas lui, ce serait trop injuste, cela signifierait que son passé le rattrape, qu’inévitablement les mal partis sont voués à traîner des chaînes de désillusions.
Allen Ezail Iverson a vu le jour le 07 Juin 1975 à Hampton en Virginie. Il mesure 1m83 pour 76kg. Son père, Allen Broughton a quitté le foyer avant sa naissance et fait de fréquents séjours en prison. Sa mère, Ann Iverson n’a que 16 ans. Elle l’élèvera seule, ainsi que ses deux sœurs, dans la misère la plus terrible, luttant perpétuellement pour conserver l’eau et l’électricité au sein de son logement. La plupart du temps la famille ne possède même pas le minimum vital, son enfance est vraiment très pauvre.
Durant ses jeunes années, Allen pratique le basketball et le football américain (qu’il préfère). Au cours de son séjour à la High School Bethel de Hampton, il était déjà une star dans les deux disciplines, remportant une multitude de récompenses. Malheureusement, suite à son implication dans une rixe survenue dans un bowling durant sa saison de senior, il est condamné à 5 ans de prison. A cause de cette incarcération, il manque une bourse pour entrer à l’Université du Kentucky. Il passe 4 mois derrière les barreaux avant d’être innocenté par le Gouverneur de Virginie, Douglas Wilder, qui, toutefois, lui fait promettre de se racheter une conduite et terminer ses études.
Au printemps 1994, le coach de l’équipe de basketball de Georgetown, John Thompson, rend visite à Iverson à la High School Richard Milburn de Hampton, un établissement qui accueille les étudiants en danger dans leur scolarité. John Thompson lui offre une bourse à condition qu’il respecte scrupuleusement le code d’honneur de Georgetown. Il s’inscrit dans un cursus de création artistique, l’équivalent de nos Beaux-Arts en France. Il est très doué, croquant les portraits de ses coéquipiers ou de célébrités.
En tant que « Hoya », Iverson gagne à 2 reprises le titre de Défenseur de l’Année du Grand Est, celui de Rookie de l’Année, une participation dans la First Team du Tournoi Rookie 1995-1996, une médaille d’or pour la victoire de son équipe aux Championnats du Monde Universitaires au Japon en 1995. Il est également le meilleur scoreur de Georgetown de tous les temps.
Toutefois, sa situation personnelle s’aggravant (la naissance de sa fille Tiaura et pas de revenus), il est contraint d’abréger ses études et de se déclarer éligible à la
Draft NBA de 1996. Il est choisi en
1° position par les Philadelphia 76ers. Très rapidement il s’affirme comme l’un des meilleurs meneurs de la ligue. Tout aussi vite il gagne une réputation qui attire les foules pour assister à ses matches. Il est élu
Rookie de l’Année en 1997 et choisi pour la
NBA All-Rookie First Team. Dès sa première année, la machine est lancée : 23.5 points (6° scoreur en NBA) – 7.5 assists (10° passeur) et 2.07 steals (7° intercepteur) sont ses moyennes par match, battant tous les records de rookie dans toutes les catégories.
Pourtant, en dépit de ses performances, A.I. est déjà sujet à controverse. Il éprouve des difficultés relationnelles avec les médias, peine à gérer son nouveau statut de star. Il est critiqué par les joueurs, les coaches et la presse car il est souvent accusé de manque de respect à l’égard des basketteurs célèbres, son individualisme dans le jeu et la confiance unique qu’il a en lui-même. Il est également rappelé à l’ordre par les responsables de la ligue qui n’apprécient guère son look hip-hop et lui reprochent ses coiffures ainsi que son nombre croissant de tatouages.
Durant la saison 1997-1998, ses moyennes baissent légèrement mais demeurent fort honorables : 22 points, 6.2 passes décisives et 2.2 interceptions.
La saison régulière suivante, il augmente ses résultats à la marque mais baisse considérablement ses moyennes de passes décisives : 26.8 points – 4.6 assists – 2.3 interceptions. Le phénomène est lancé mais, d’ores et déjà, il se caractérise par une évidence : efficacité à la marque rime avec individualisme.
En 1998-1999, il connaît sa première expérience en playoffs. Jouant une moyenne de 44.8 minutes par match, il score 28.5 points, 4.9 assists, 4.1 rebonds et 2.5 interceptions par rencontre.
En 1999-2000, scénario identique à l’année précédente : le bombardier accentue ses tirs mais joue seul soit 28.4 points, 2.1 interceptions et 4.7 passes décisives de moyenne par match. Lors des playoffs, il joue environ 44.4 minutes par match pour 26.2 points, 4.8 assists, 4 rebonds et 1.3 interceptions.
La saison 2000-2001 est globalement la meilleure de sa carrière. Il mène sa franchise en finale NBA contre les Los Angeles Lakers. Il est élu MVP du All-Star Game, MVP de la saison, meilleur marqueur pour la seconde fois, meilleur intercepteur. Cette année-là, comme Michael Jordan, il est le seul joueur à réaliser le doublé points/interceptions. Ses moyennes de saison régulière sont : 31.1 points – 2.5 interceptions – 4.6 assists et 3.8 rebonds. Lors des playoffs, il tourne à 32.9 points – 2.4 interceptions – 6.1 passes décisives et 4.7 rebonds de moyenne par match.
Au cours de cette période, un détail notable est à souligner : sa relation amour/haine avec Larry Brown, notamment sur l’importance des entraînements. Deux fortes personnalités qui ont souvent réglé leurs comptes par des monologues lancés via les médias. De toute évidence, ces deux là ne connaissent pas le véritable sens et avantage de la communication. A la décharge d’Iverson, nous avons été témoins qu’à plusieurs reprises, les yeux au bord des larmes, il a su rendre hommage à son coach Brown. Pour le panache, 1 à 0 pour Iverson !
Après la finale manquée contre les Lakers en 2001, pour Iverson les années se suivent et se ressemblent :
• 2001-2002- en saison régulière : 31.4 points – 2.8 interceptions – 5.5 passes décisives et 4.5 rebonds de moyenne par match
- en playoffs : 30 points – 2.6 interceptions – 4.2 passes décisives et 3.6 rebonds de moyenne par match.
• 2002-2003- en saison régulière : 27.6 points – 2.7 interceptions – 5.5 passes décisives et 4.2 rebonds de moyenne par match.
- en playoffs : 31.7 points – 2.4 interceptions – 7.4 passes décisives et 4.3 rebonds de moyenne par match.
• 2003-2004- en saison régulière : 26.4 points – 2.4 interceptions – 6.8 passes décisives et 3.7 rebonds de moyenne par match
- en playoffs : pas de participation des 76ers
• 2004-2005- en saison régulière : 30.7 points – 2.4 interceptions – 7.9 passes décisives et 4 rebonds de moyenne par match
- en playoffs : 31.2 points – 2 interceptions – 10 passes décisives et 2.2 rebonds de moyenne par match.
• 2005-2006- en saison régulière : 33 points – 1.9 interceptions – 7.4 passes décisives et 3.2 rebonds de moyenne par match.
- en playoffs : pas de participation des 76ers
• 2006-2007- en saison régulière avec les 76ers : 31.2 points – 2.2 interceptions – 7.3 passes décisives et 2.7 rebonds en moyenne par match.
- en saison régulière avec les Nuggets : 24.8 points – 1.8 interceptions – 7.2 passes décisives et 3 rebonds en moyenne par match.
- en playoffs avec les Nuggets : 22.8 points – 1.4 interceptions – 5.8 passes décisives et 0.6 rebond.